Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DEFENSOR CIVITATIS

DEFENSOR CIVITATIS

DEFENSOR CIVITATIS. Au milieu du ive siècle, l'empire romain menaçait ruine. Les fonctionnaires qui le représentaient dans les provinces n'étaient pas seulement impuissants à faire le bien, ils se montraient encore enclins à mal faire; il fallait à la fois suppléer à leur insuffisance et mettre obstacle à leurs excès de pouvoir; on crut avoir atteint ce double but par l'institution des défenseurs des cités. C'est en 365, sous le règne de Valentinien P°, que pour la première fois il en est fait mention. Quelle était la forme de leur élection? Quelles ont été leurs attribu e tions pendant, la période qui suivit immédiatement leur création? Qu'est devenue leur influence? Quelles ont été leur fonctions à l'époque de Justinien? Ont-ils survécu à la chute de l'empire, et dès lors quelle a été leur destinée? 1. Le défenseur est élu par le suffrage universel des citoyens. Les cités considérables ont seules le privilège de nommer un défenseur, dont l'influence s'étend sur la ville chef-lieu, sur les villes de second ordre placées dans son voisinage, enfin sur les campagnes environnantes 1. Il y a incompatibilité entre ses fonctions et celles de décurion 2; les juifs, les samaritains, les païens, en sont écartés comme indignes L'élection, une fois faite, est soumise au préfet du prétoire ou même à l'empereur, qui la ratifie', après s'être assuré qu'elle a été sincère, et que les moeurs et l'orthodoxie de l'élu sont également irréprochables. Le défenseur est nommé pour cinq ans 5; pendant ce temps, dit la loi, « qu'il remplisse à l'égard du peuple tous les devoirs d'un père, interea parentis vices plebi exhibeat n. Afin qu'il puisse mieux s'acquitter de sa noble mission, un libre accès lui est ouvert 6 auprès du président de la province, du préfet du prétoire, du maître de la cavalerie ou de l'infanterie, et même auprès de l'empereur, auquel il dénoncera les abus qui émanent des fonctionnaires de tous les rangs. Le défenseur n'est pas un magistrat; il n'aura donc pas le droit d'infliger ni amendes ni punitions corporelles'. C'est un patronage respectable qu'il exerce, patronage qui, comme celui du père de famille, devra s'étendre à beaucoup d'objets. Ainsi, il protège le peuple contre les exactions des employés du fisc; il veille à ce que le recrutement des légions se fasse dans sa circonscription d'une manière équitable ; à ce que les poids et les mesures soient maintenus à l'abri de toute fraude ; à ce que les vols et les brigandages soient exactement réprimés; à ce que les soldats ne s'écartent pas de leurs cantonnements pour errer par la campagne ; à ce que personne n'usurpe le droit de requérir des habitants les moyens de voyage ou de transport réservés aux agents de l'empire ; à ce que le commerce et la navigation ne soient pas entravés. Il doit s'opposer à tout changement irrégulier dans l'état civil des personnes, surtout en ce qui concerne les décurions, que le gouvernement, pour les ruiner jusqu'au bout, tenait renfermés dans la curie comme dans une geôle ; enfin, il lui est recommandé de soustraire les filles ou les esclaves à l'influence du père ou du maître, qui tenterait d'abuser de leur autorité sur elles pour les livrer ou les corrompre ; bientôt son action ne se bornera plus à la morale, elle s'étendra à la religion ; tout rassemblement d'hérétiques sera dénoncé et interdit par ses soins Si le voeu du législateur avait été accompli, le défenseurde la cité, revêtu des hautes fonctions de censeur et de tribun, aurait été porté par l'estime publique au premier rang de la hiérarchie sociale, et il aurait pu rendre à l'empire chancelant les plus signalés services. Mais tel ne fut pas le sort de cette curieuse institution. II. Il faut se garder d'incriminer l'intention des empereurs qui ont créé les défenseurs; mais on a quelque droit de leur reprocher de s'être bercés d'illusions étranges. Qu'ont-ils voulu? Assurer le peuple des provinces contre les excès dont les agents de l'administration se rendaient coupables. Par cette conduite ils dénonçaient eux-mêmes les vices du gouvernement dont ils étaient les chefs; d'un seul coup ils mettaient en suspicion tous leurs fonctionnaires. Or, sans s'être concertés, les fonctionnaires menacés se trouvèrent naturellement d'accord pour rendre inoffensive la machine de guerre qu'on dirigeait contre eux. Que pouvait le défenseur, isolé, souvent absent, presque toujours éloigné du trône, contre une légion d'actifs et puissants adversaires ? Il fut enveloppé, désarmé, annulé. Ce qui avait paru un heureux moyen de réforme ne fut, en effet, qu'un pauvre expédient, qui mit le mal en évidence sans y appliquer de remède. A l'avènement de Justinien, deux siècles ne s'étaient pas écoulés et déjà l'institution était méconnaissable. Le défenseur de la cité était à la discrétion du président de la province, qui le révoquait à son gré. Sa déchéance semble complète. Sans essayer de relever sa position, l'empereur se proposa de la régulariser. Au ive siècle le défenseur est (ou plutôt devait être) le tuteur ou le patron du peuple, le refuge des opprimés; au vie siècle, il est devenu un humble officier de l'état civil et le plus imperceptible des juges. Comment s'est opérée cette transformation? Dans le dessein de placer le bienfait de la justice à la portée des habitants de la campagne et du menu peuple des villes, les successeurs de Valentinien I°r avaient attribué au défenseur une juridiction fort limitée quant à l'importance des affaires, mais qui lui permettait de résoudre sans délai et sans déplacement des parties des contestations en quelque sorte journalières. En outre, les mêmes empereurs qui l'avaient trouvé investi du droit de constater l'état des personnes le chargèrent de veiller sur la gestion des tuteurs et sur la régularité des inventaires 9. Par une conséquence toute naturelle, le défenseur se vit appelé, au vie siècle, à jouer un rôle assez semblable à celui que jouent en France, de nos jours, les juges de paix. Justinien établit le que le défenseur sera pris à tour de rôle parmi les notabiss de la cité; qu'il sera nommé et révoqué par le préfet du prétoire ; que ses fonctions dureront deux ans (au lieu de cinq). Il lui attribue une juridiction civile plus étendue qu'auparavant, « usque ad aureos trecentos », et une juridiction criminelle pour des délits sans gravité, « leviora crinlina ». D'autre part, il lui commet le dépôt des actes publics et le soin des archives. Cet aperçu sommaire suffira pour faire comprendre combien il importe de distinguer deux époques dans l'histoire de l'institution des défenseurs. III. Sous la domination des barbares, le défenseur de la cité continue d'exister avec son double caractère de juge placé à un des derniers degrés de la hiérarchie judiciaire, et d'officier de l'état civil dans certains cas assez mal déterminés. Plusieurs historiens ont pensé que les attributions des défenseurs des cités se sont confondues nsensiblement avec celles des évêques. S'appuieront-ils, pour le prétendre, sur ce que le mode d'élection est à peu près le même? Mais il faut qu'ils se rappellent que, avant l'époque de Justinien, le défenseur n'était déjà plus l'élu du suffrage universel. Et puis, comment n'ontils pas remarqué que son autorité et son influence vont toujours s'amoindrissant et s'effaçant, tandis que celles de l'évêque, qui ont leur source et leur principe ailleurs, vont toujours en s'agrandissant ". ABEL DESJARDINS.